Comment réussir sa vision?
Quelques outils de déploiement des stratégies processus

Cet article représente un point de vue partiel (et partial) sur quelques outils managériaux utiles à tout décideur intéressé par les processus. Sans parler des multiples et indispensables offres existantes sur le marché dans ces domaines, on se cantonnera aux modèles mentaux et outils de type "couteau suisse", simples d'emploi, mais néanmoins puissants et souvent incontournables Certaines illustrations présentées sont volontairement simplistes.

1. Vous avez dit processus?

1.1. Les processus, un des instruments du déploiement stratégique

     Toute entreprise poursuit une finalité, une vision, son rêve réaliste: Pour certaines l'innovation, pour d'autres la croissance, le profit, l'image, …etc. Mais la stratégie n'est pas tout, il faut encore être capable de la déployer de façon efficace !
Il suffit de voir dans les "business schools" mondiales, qui enseignent traditionnellement les grands silos de connaissance – stratégie, finance, marketing, management humain, globalisation, …., la montée du thème management des opérations ("Operations Management")

Les instruments du déploiement stratégique utilisent invariablement 3 leviers clés: les hommes, l'organisation, les technologies. Il existe dans ces domaines des jeux entiers de théories, d'innombrables vendeurs et consultants. Y a–t' il dans cette abondance des concepts plus marquants, plus pérennes que les autres  ?
Si on veut se convaincre de la "relativité" des concepts, on peut relire avec profit "Critique de l'efficacité" (Le Mouel 1991 [MOU 91]), désamorçant ce syllogisme absurde des gourous et des vendeurs: "ce qui est efficace est vrai, ce qui est vrai est juste". Voir aussi comment des modèles organisationnels de sociétés (ABB et le management matriciel, …), présentés comme "modèles" dans tous les livres de management il y a 10 ans, sont aujourd'hui abandonnés avec profit par les sociétés qui les ont promus à l'époque.

Les pratiques de l'alignement stratégique ( Henderson et Venkatraman, [HEN 93], Fimbel [FIM 07] )sont issues de cette réflexion .  Aucun des 3 leviers n'est suffisant, c'est évidemment leur "réconciliation" dynamique qui compte. Avec l'apparition quasi quotidienne d'une nouvelle technologie, le temps que prennent les changements organisationnels et plus encore ceux concernant la culture des hommes, comment maintenir une cohérence minimale entre la stratégie et ses projets de déploiement?
Les processus et les méthodes afférentes sont au cœur de ce débat.

1.2. Liste de processus, première approche

Peut-on bâtir de façon générique une liste de processus ?  
(Une fois d'accord sur ce qu'est un processus! Si vous allez voir la "start-up" ou le service R&D, ils entendront procédés, l'ensemble des techniques et méthodes qui leur a permis  de développer l'excellence de leur produits et services. En production, ils vous montreront l'épais recueil des procédures, décrivant, façon ISO, leurs mécanismes de qualité. Pour l'entreprise orientée client, ils adresseront bien les fondamentaux des processus, …etc..)
Une entreprise se doit évidemment d'abord d'écouter son marché et ses clients, d'inventer le produit/service correspondant à leur besoins rationnels, voire à leur désirs latents, de commercialiser son offre et de la vendre, de fidéliser ses clients, …)

Tout ce cycle est sous l'ombrelle d'un "macro-processus", appelé traditionnellement par les consultants CRM ("customer relationship management") 
Ne confondons pas ces logos (CRM, …) vus en tant que macro-processus génériques, et les offres logicielles commercialisées sous le même logo, dont les finalités sont souvent différentes: en exemple la logique CRM est d'abord une logique d'écoute client (philosophie "pull") alors que beaucoup de logiciels du marché ne visent qu'à rendre plus efficace le commercialisation (philosophie "push")…
Ensuite, elle doit satisfaire sa promesse: fabriquer son produit/service, acheter, se fournir, livrer / délivrer, transporter, facturer, recouvrer, …
On est là globalement sous l'ombrelle du macro-processus SCM ("supply chain management")
Elle doit aussi écouter les bruits faibles du marché, veiller, décider, … BI ("business intelligence")
Elle doit s'intéresser à ses hommes, à leur management, à leurs savoirs et compétences: il s'agit du macro-processus KM ("knowledge management")
Elle doit bien sûr faire tout le reste, gérer au mieux ses ressources, ses finances, …. Il s'agit alors de "entreprise ressources planning", d'ERP
( là encore on ne parle pas ici de logiciels de type ERP, mais de la finalité du macro-processus ERP, gestion des ressources)

Suivant le secteur économique, d'autres macro-processus spécifiques apparaissent , spécificités de la distribution, du trading bancaire, PLM "product line management" dans l'industrie,  …Dans d'autre secteurs (bancaire, distribution, ...), certains autres macro-processus spécifiques existent bien sûr...
On voit bien la ressemblance avec la description de la chaîne de valeur  de l'entreprise (M.Porter, l'avantage concurrentiel, [POR 85]), chacun des processus contribuant à la "valeur ajoutée" de l'organisation.


Figure 1. La chaîne de valeur, les verbes clés de l'organisation

1.3. Processus et systémique

La théorie générale des système  ( C'est une culture à part entière: Pour les néophytes et comme initiation, lire Le Macroscope de Joël de Rosnay[ROS 75], puis Théorie du Système Général de Lemoigne [LEM 77],…) est incontournable dès que l'on parle processus. Sans entrer dans le détail de cette théorie, on sait, dans ce cadre, qu'un processus est un sous-système de l'entreprise considérée comme un système. Cela a plusieurs conséquences:
- Le nombre idéal de sous systèmes à considérer, doit se situer entre 15 et 40. (Cette règle est valable quelque soit le point de vue où l'on se situe. Si on est l'entreprise, on doit considérer une trentaine de processus. Si on dirige une fonction, à nouveau une trentaine de processus sont à considérer. Même chose pour un département. Ainsi les processus peuvent être vus comme un système de poupées russes, leur nombre et leur nom dépendant toujours du point de vue…)  En dessous de 15, les sous-systèmes trop gros, ils sont tous "indispensables" et on ne saura jamais celui qui doit être optimisé en priorité. Au delà de 40, on tombe dans une technocratie difficile à maîtriser…
- Contrairement au rationalisme de Descartes (Discours de la Méthode) , il faut analyser un organisme, toujours au delà de la somme de ses parties (de ses processus?), et s'intéresser aux buts, aux objectifs (téléologie) et non aux liaisons causales du mécanisme. Ceci a des conséquences sur le temps à consacrer à l'étude de la finalité des processus, à leur vrai objectif.
- L'analyse systémique n'est pas "mécaniste". Elle est "organique". L'entreprise n'est pas qu'une montre dont on peut optimiser les rouages mais un organisme vivant, plein de rétroactions, qu'il s'agit suivant les cas de réguler, de soigner, d'éduquer, d'adapter à son environnement.

1.4. Les processus en tant que "sous-systèmes" transverses de l'organisation

La phrase fondamentale (et ancienne, 1988…) de Fischer, ex PDG de Motorola et de Kodak reste totalement illustratrice des concepts modernes de processus: " Les organisations ne sont pas faites pour servir le client, mais pour préserver l'ordre intérieur. Pour le client, non seulement la structure interne ne lui est que de peu d'utilité, mais de plus elle sert souvent de barrière. L'organisation est verticale, le service au client est horizontal ".
On visualise bien là les "silos" verticaux et les processus inter-fonctionnels. Mais, toute motivante qu'elle soit vers les managements matriciels, la phrase ne suffit pas! Quel système de management mettre en place pour garder les individus des silos efficaces (le vendeur vend, le producteur produit, le chercheur développe, …) et favoriser la transversalité (le vendeur écoute clients et marché  et informe, ….), sans créer une schizophrénie d'objectifs?
On sait que les processus impliquent un certain management matriciel. Comment  gérer les conflits "naturels" entre les objectifs des silos et ceux des pilotes de processus? Fréquemment, cela dépend fortement des rapports de pouvoir entre les acteurs, des systèmes d'arbitrage structurels prévus, périodiques et au quotidien.   

1.5. Les organisations matricielles dépassées?

Dans un monde de globalisation, de digitalisation, de dérégulation ("Unleashing  the killer application" [DOW 98]), est-ce que le modèle processus n'est pas dépassé, trop organisé, trop taylorien ? L'hypercompétition   ("Hypercompetition" [AVE  94])  crée par nature une organisation en réseaux coopératifs, ou toute activité implique de multiples acteurs, sous-traitants, partenaires. Les processus ne s'arrêtent plus jamais aux frontières des entreprises!
Les contours de l'entreprise changent, certaines activités sont sous-traitées, de nouveaux partenariats noués, on absorbe de nouvelles activités. Les techniques organisationnelles classiques, analytiques, sont-elles adaptables à cette nouvelle société en réseaux? Les processus ont-ils encore leur rôle dans l'entreprise "agile"?
De plus, les techniques de commercialisation changent. En fonction des produits/services, on utilisera suivant les cas: les approches commerciales "face à face", des centres d'appels, des distributeurs externes ou des achats sur le Web, etc. Qui doit faire quoi, dans ce cadre et à quel moment? C'est toute la problématique des "chemins vers le marché ( http://www.the-rtma.com ).
Cela amène naturellement à la notion de processus "étendus".  L'entreprise doit non seulement tracer les contours de ses processus, mais aussi connaître ceux de ses partenaires. Dans certains cas, des portions des processus internes sont sous-traités, ou à l'inverse l'entreprise devient sous-traitante d'activités. Enfin, de nombreux processus sont coopératifs, en recherche et développement, en marketing, ….


Figure 2.
Processus étendus, routes to market, co-processus…

Chaque fois que ce genre de phénomène existe, les TIC (technologies de l'information et de la communication) jouent bien sûr un grand rôle: e-supply, e-design, e-administration,…, ce qui complexifie de jeu. De plus, sous-traiter n'implique pas la suppression de toutes les activités. Il reste des activités de coordination, impliquant évidemment un coût de transaction.

2. Techniques de bases, minimum vital

2.1. Première priorité: lister les processus de l'organisation, notion de finalité
     Nous avons déjà évoqué longuement une technique de base pour lister des processus de l'organisation: à partir des fondamentaux, faire la liste sous forme de verbes  ("facturer les clients", "délivrer le service", …). Cette liste doit en général être préparée et discutée/affinée en comité de direction. Des listes génériques existent pour chacun des secteurs économiques, promues par des consultants, on peut avec grand intérêt s'en inspirer.


Figure 3. Exemple de liste de processus du "domaine" CRM (d'après Cap Gemini)

Une fois les processus listés (rappelons que, pour un niveau de responsabilité donné, leur nombre doit être entre 15 et 40…), on doit se poser la question de leur finalité. Prenons à titre d'exemple le processus "facturer les clients'. Quelle est sa finalité? Pour le savoir, il faut déjà définir clairement le client du processus. Le client? La direction financière? On voit déjà que la plupart des processus ont plusieurs clients, qui ont des objectifs contradictoire: 'facturer le client le plus tôt possible, afin de faire rentre l'argent au plus tôt" (vision financière) ou "facturer totalement juste, pour diminuer les réclamations sur factures"(vision recouvrement) ou "facturer le plus tard possible" (vision "désir" client),  ou "facturer en temps négocié" (vision commerciale),…etc.…
Le choix de la bonne finalité et sa rédaction est ainsi une étape clé et politique de la dynamique d'un processus.
 
2.2. Deuxième priorité: quelques indicateurs, trop d'indicateurs?
Efficacité, efficience…
Il faut ensuite définir le ou les indicateurs permettant de s'assurer que l'on va mettre le processus "sous contrôle", et ce sera un des objectifs clé du responsable de processus (on suppose à ce point que le "propriétaire" du processus est nommé, ainsi que son pilote ). Cet indicateur de finalité est quelquefois appelé indicateur d'efficacité du processus (" Est-on arrivé à ce que l’on avait l’intention de faire, à quel point l’objectif fixé est-il atteint, ce résultat est-il suffisamment stable?»).
Mais il est évident que le processus doit aussi être à moindre coût (productivité), diminuer ses délais (cycles), ses coûts de dysfonctionnement (non qualité). Le pilote est aussi mesuré sur les améliorations majeures sur ces indicateurs d'efficience Q/C/D .
Un troisième type d'indicateurs est celui mesurant des relations client/fournisseur de frontières internes au processus (voir 3.4.).

2.3. Systémique et temporalités
De nombreuses méthodes existent pour permettre de "dessiner" la séquence, les interrelations des processus. On aboutit alors à une carte globale, relativement simple à dessiner. On oublie néanmoins souvent les processus de contrôle et de décision! La systémique peut là encore aider, rappelant opportunément les différents "espace-temps" des organisations.

Figure 4. Les niveaux de processus, vus par la systémique

Les niveaux opérationnels, d'exécution, fonctionnent, suivant les secteurs dans un espace temps de la seconde, de la minute, de l'heure; les niveaux de management au niveau de l'heure, de la journée; les niveaux "supérieurs", stratégiques au niveau du mois, de l'année. Ces aspects temporels sont souvent peu traités dans la mécanique processus…

2.4. Troisième acte: Cartographie globale des processus de l'organisation


Figure 5.  Cartographie élémentaire de processus d'une entreprise plutôt industrielle

On peut alors  tracer le contour de l'ensemble des processus de l'organisation. Avant l'utilisation d'outils plus sophistiqués , une première esquisse peut être faite "à la main". Ces représentations sont par ailleurs totalement nécessaires dans le cadre des certifications ISO.
Dans la plupart de ces cartographies, on trace intuitivement les relations que l'on pressent entre les différents processus. Mais imaginons que l'on veuille désormais agir sur un ou plusieurs processus (amélioration, Kaisen  ou  reconfiguration, BPR ). Les processus ne sont pas indépendants. L'entreprise est un système! Comment étudier l'ensemble des interrelations des processus, souvent considérés à tord comme indépendants, afin de savoir, dans cette complexité systémique, par où commencer?

2.5. Perdu dans la complexité? Par où commencer? Interdépendances
Des méthodes  puissantes, mais simples d'usage, permettent de résoudre ce problème. Calculer la "dépendance" et l' "influence" des processus les uns sur les autres est clé. Il suffit de bâtir une matrice:
 

On se pose comme question: "si modifiait fortement le processus ligne, quel serait l'impact direct sur le processus colonne ?". Il est alors évident que les sommes horizontales représentent l'influence globale, les sommes verticales la dépendance globale.
Ceci permet entre autres d'obtenir une visualisation des processus dans 4 quartiles:

Figure 6.  Positionnement d'influence/dépendance

Les moteurs (agir sur eux est puissant, mais on va, en cascade, restructurer toute l'entreprise), les dépendants (à peine réformés, une modification dans un autre processus vas les modifier à nouveau), les indépendants (bon candidats potentiels si besoin à l'externalisation, "deplugables" plus facilement de l'organisation, les nœuds (à l'intersection de tous les processus, ce serait bien de commencer par eux…)
On peut bien sûr également représenter sous forme "réseau" les liaisons inter-processus:


Cette méthode d'analyse systémique peut être utilisée dans bien d'autres cas, mais elle est très utile ici pour démêler la complexité des processus.

3. Quelques autres lames fondamentales du "couteau suisse" managérial.

3.1. Un moment clé: Aligner les processus avec les stratégies.
Il faut évidemment choisir quels sont les processus prioritaires. Certes l'entreprise doit améliorer en permanence tous ces mécanismes, mais, n'ayant pas une infinité de ressources humaines et financières, elle doit arbitrer, à l'horizon stratégique ou opérationnel, sur les projets prioritaires concernant ces processus.
L'alignement stratégique nous conseille alors d'agir en priorité sur les processus ayant une influence forte sur la réussite des stratégies. La technique la plus simple, et largement utilisée, pour aligner processus est stratégie est de chercher l'effet de levier des processus sur le tableau de bord de l'entreprise (ou de l'entité étudiée ).
Les tableaux de bord existent, implicitement ou explicitement. C'est la liste des objectifs stratégiques de l'entreprise, à l'horizon opérationnel. La théorie du tableau de bord  ("Balanced Scorecard") nous rappelle qu'il faut y trouver au moins quatre types d'objectifs: Ceux des "stockholders" (profit, croissance, …), ceux des clients (satisfaction, qualité, …), ceux des processus (efficacité, efficience, ..), ceux du personnel et des savoirs (compétences, moral,…) . Ce tableau de bord doit être bien sûr complété des indicateurs de gestion, mesurant l'avance de ces objectifs stratégiques.



Processus:
Etudier marché / Concevoir produits / Gérer secteur Cial / Faire souscrire / Gérer contrats / Fidéliser / Faire payer / Régler sinistres / Surveiller portefeuille / Gérer RH / gérer Finance - Ctl gestion / Gérer réassurance / Gérer infrastructures


Figure 7.  Exemple tableau de bord et liste simplifiée de processus (Cie d'assurances de taille moyenne)


3.2. Techniques de priorisation, Hoshin Kanri.         

Prioriser les processus revient à se poser la question: Si je devenais le meilleur du monde sur ce processus, quel effet de levier direct cela aurait-il sur mon tableau de bord?
Cette technique ( "Hoshin Kanri", issue historiquement du Japon) permet d'obtenir un consensus  de l'entreprise sur les processus clés. Le comité de direction, ayant trouvé son consensus sur le tableau de bord et la liste des processus, "vote" pour répondre à cette question, à la lumière des connaissances qu'ils ont .


Figure 8.  Les processus priorisés par effet de levier sur le tableau de bord



Figure 9.  Exemple simplifié de priorisation de processus par appréciation effet de levier sur tableau de bord (Hoshin Kanri)

Cette technique ne permet que d'obtenir un consensus sur les processus les plus importants . Mais il reste bien sûr à étudier s'ils sont aussi performants. Certains sont déjà connus par l'entreprise comme sous-performants, d'autres peuvent être comparés ("benchmark") avec les processus des concurrents, ou, mieux, avec ceux d'entreprises  d'autres secteurs, innovatrices sur leurs façons de conduire leurs activités!
Les priorités peuvent alors être les processus importants (bras de levier sur la stratégie) et peu performants (benchmark, comparaison aux meilleures pratiques,  niveau de maturité)
Pour les priorités d'action, l'analyse systémique de type Micmac donne des indications supplémentaires.
Les processus sélectionnés, souvent transverses, ont besoin alors d'être managés. Rappelons simplement que cela consiste à créer un management matriciel  intelligent: finalités des processus clairement choisies, indicateurs d'efficacité et d'efficience, arbitrages long-terme et au quotidien faits au bon niveau, communication, …etc.…
Mais… malgré tout cela, le langage processus a beaucoup de mal à passer pour tous dans les entreprises ! Une technique supplémentaire va faciliter cet aspect.

3.3. Et encore…: l'ABC des processus….

Le mot processus reste abstrait pour beaucoup d'acteurs, et est mal compris. Ce que les personnes comprennent, c'est leur métier: "je suis vendeur", "je suis manager de la chaîne de production", "je suis administratif back-office", "je suis auditeur", ce sont les définitions traditionnelles et les missions afférentes aux  structures en silos. Comment établir le lien entre cette façon de voir et les dynamiques processus?
Une technique simple est, liste des processus en main, d'aller voir les fonctions et de leur demander: "combien de temps dans l'année les personnels de votre fonction sont-ils impliqués en moyenne dans le processus 1, 2, …,n ? Ce questionnaire permet de remplir facilement  une matrice structure/processus, dont l'utilisation à usages multiples permet de:


 Figure 10.  Exemple prototype de matrice ABC (Cie d'assurances de taille moyenne)

- visualiser immédiatement le matriciel de l'entreprise, les processus les plus interfonctionnels (représentés par ), ceux qui sont plutôt monofonctionnels;
- obtenir a un premier prototype d'une approche ABC ("Activity Based Costing"),  très utile aux organisations modernes (avec les techniques de management correspondantes de type ABM) .
- calculer immédiatement, connaissant les coûts verticaux, un chiffre souvent inconnu, le coût humain des processus (en multipliant le coût des hommes par le pourcentage de temps).
- imaginer sur ce schéma "as is" des scénarios "to be", avec de nouvelles distributions de missions et de rôle, construire un prototype de "to be" et en estimer certains gains et certains coûts. On voit clairement les acteurs impliqués dans la réalité dans chacun des processus, ce qui va simplifier les cartographies de processus.

3.4. Vers l'action: Pré-cartographier son processus
Le pilote doit connaître son processus. Volontairement, on n'évoquera pas ici les multiples méthodes d'enquêtes et outils techniques sophistiqués pour "dessiner" un processus . On mentionnera quelques méthodes élémentaires et quelques pièges toujours présents.


Figure 11.  Cartographie primaire d'un processus (d'après IBM France)

Une fois la cartographie en main, de nombreuses méthodes sont à disposition: l'analyse de la valeur, permettant d'estimer la "valeur ajoutée" (par rapport à son coût!) de chacune des activités vis à vis de la finalité du processus. On peut en tirer de nombreuses conclusions. Une méthode semblable peut, au lieu de mesurer la valeur, mesurer le temps ("time analysis").
Que l'analyse soit faite par le temps, par le coût ou par la non qualité, on découvre que de nombreux problèmes viennent aux frontières interservices (cf. sur figure 11 la zone "relation client/fournisseur"). C'est là que beaucoup de approches existent.
Historiquement, on a souvent tenté de durcir le jeu, en imposant une métrologie à la frontière et en faisant signer (physiquement ou moralement) un contrat client/fournisseur, quelquefois "léonin". Les échecs de cette méthode ont été nombreux, même si quelquefois elle a été  nécessaire sur des thématiques de gouvernance, de sécurité, de qualité de production, de diminution des cycles.
Mieux, en peut décider, après avoir convaincu les acteurs du but commun (finalité du processus), de les inciter à  négocier mieux leurs relations de frontière et d'innover par eux mêmes (avec des méthodes issues des mouvements Qualité [ARC 84], groupes et cercles de qualité,… ). Ils résoudront alors souvent ces dysfonctionnements inter-services, en éradiquant les causes. Ceci peut buter quelquefois sur les arbitrages managériaux, sur les égoïsmes de fonctions focalisées sur leurs propres objectifs court-terme.

4 Inventer son propre modèle, bien choisir ses instruments…

Comme dit au départ, le déploiement stratégique implique de synchroniser le plus possible (cohérence stratégique) les aspects organisationnels (processus, structures), les aspects humains (formations, changements de cultures, …) et les aspects technologiques (souvent par l'informatisation). Malheureusement, ces trois disciplines ne fonctionnent pas au même rythme, avec une technologie qui émerge tous les jours et les temps nécessaires pour changer une organisation et/ou une manière de penser.
De plus, les technologies peuvent de façon moderne avoir une fonction destructrice sur la chaîne de valeur, sur les processus. Il suffit de penser à l'impact d'internet et des nouveaux modes de réservation sur les processus  d'une agence de voyage!
Il reste sur le sujet processus de nombreux et passionnants problèmes ouverts!
- Doit-on d'abord changer l'organisation, les processus, faire évoluer les mentalités pour éviter l'écueil de la "résistance au changement" et décider l'informatisation qu'ensuite? Ou est-il plus important de faire d'abord le changement technologique (par exemple mettre en place un logiciel "ERP" de type SAP, apportant sa propre philosophie implicite sur de nombreux processus) et ensuite seulement d'adapter l'organisation et les mentalités?
- Dans nos sociétés en réseaux, évolutifs et changeants, comment parier intelligemment sur les zones de stabilité du futur, les pièces clés du jeu de Légo® de l'entreprise, les portions de processus représentant sa vraie valeur ajoutée, ses savoirs distinctifs, et qu'il faut absolument mettre sous contrôle, sachant qu'il faut si possible laisser le reste en liberté adaptative?
- Le pilote de processus doit-il utiliser une instrumentation  "standard" pour agir ou inventer des outils adaptés aux cultures de son entreprise?
- Comment adapter les systèmes de management (générant l'implication des acteurs) à ces nouveaux modes, pour permettre aux métiers, aux silos d'augmenter leur efficacité tout en accélérant les réformes de processus transverses, tout en favorisant l'innovation en réseaux?
- …
Chaque organisation doit évidemment se trouver sur ces thèmes son génie propre, sa propre "vision processus".



              
Bibliographie

[ARC 84] ARCHIER G., SERIEYX H., L'entreprise du 3ème type, Seuil, 1984.
[AVE 94] D'AVENI R ., Hypercompetition, Free Press, 1994.
[BRA 03] BRANDEBOURG H., WOJTYNA J.P., , L'approche processus, Editions d'Organisation, 2006 (2e édition). Préface de Jean-François David. http://davidjf.free.fr/pronew.html
[DAV 93] DAVENPORT T.H., Process Innovation, HBS Press, 1993.
[DOW 98 ] DOWNES L., MUI C., Unleashing  the killer application, HBS  1998.
[FIM 98] FIMBEL E., Alignement Stratégique, Village Mondial, 2007.
[GOD 07] GODET  M., Manuel de prospective stratégique (Tome 2), Dunod, 1998 (3e édition).
[HAM 95] HAMMER  M., The Reengineering Revolution, HarperBusiness, 1995.
[HAR 03] HARMON P., Business Process Change, Morgan Kaufman, 2003.
[HEN 93] HENDERSON J.C., VENKATRAMAN N., Strategic Alignment, IBM Systems Journal, 1993. http://www.research.ibm.com/journal/sj/382/henderson.pdf
[KAP 93] KAPLAN  R., NORTON D., Balanced Scorecard, HBS Press, 1993.
[KAP 98] KAPLAN  R., COOPER R., Cost and Effect, HBS Press, 1998.
[LEM 77] LEMOIGNE  J.L., La Theorie du Système Général, PUF, 1977.
http://www.mcxapc.org/inserts/ouvrages/0609tsgtm.pdf
[MOU 91] LE  MOUEL J., Critique de l'efficacité, Seuil, 1991.
[POR 85] PORTER M., Competitive Advantage, Free Press, 1985.
[ROS 75] ROSNAY(DE) J., Le Macroscope, Seuil, 1975.   
Version anglaise: http://pespmc1.vub.ac.be/macroscope/default.html