VADEMECUM DU DECIDEUR
Extrait de IBM France Diffusion Actualités 1987
Pour tout renseignement, n'hésitez pas à joindre IBM France
et ses activités de Conseil....
Les techniques liées à l'informatique évoluent
à une allure quelquefois surprenante: Technologies semi-conducteur,
silicium et arséniure de gallium, fibres optiques, utilisation du laser
(disques optiques numériques,...), supraconductivité, réseaux
numérisés... On ne peut aujourd'hui ouvrir un journal sans
trouver un article sur ces sujets... Mais, malgré cette explosion,
il semble que le rythme de mise en place de ces techniques n'est pas si rapide,
qu'il y a une certaine distance entre fantasme technologique, entretenu par
les médias, les vendeurs, quelquefois les politiques... et la réalisation.
Certes, certaines entreprises conduisent des expériences spectaculaires,
l'innovation est possible, mais les choses ne se passent pas toujours aussi
bien. Quelles sont donc les opportunités, et où sont les inhibiteurs,
entre le high-tech et la réalité des entreprises, les prévisions
des "gourous" et le poids du vécu, quels sont les nouveaux équilibres
?
Le moteur de l'évolution... et quelquefois le vecteur des désarrois
est la technologie. Des évolutions fantastiques sont en cours dans
ce domaine. Sur une petite
pastille de silicium de 60 mm? on grave aujourd'hui des circuits d'une finesse
inférieure au micron, transformant la matière en mémoire
(le "standard" il y a 3 ans était 64000 bits par chip, l'an dernier
256000, cette année1 million, demain sans doute 4 ou 16...), en logique
(densité de circuit multipliée par 4 tous les 2 ans), l'évolution
est exponentielle, les frontières de la matière sont repoussées
de plus en plus loin, de nouvelles technologies émergent (évolution
du Cmos, bipolaire VLSI, Arséniure de Gallium...), les investissements
accrus (3 milliards par an minimum pour "suivre" dans une technologie donnée),
les batailles sont géo-politiques (Europe/EU/Japon), les fabricants
d'ordinateurs doivent maîtriser leur technologie "amont"ou bien être
cantonnés à des activitésde montage. La fabrication
fait appel
à des techniques sophistiquées où il s'agit de fabriquer
de façon fiable, où le secret devient le procédé,
où sont mis en oeuvre des canons à électronspermettant
de graver les circuits, l'injection ionique permettant de "doper" le silicium,
la découpe au laser... et bien d'autres techniques qui hier encore
relevaient de la recherche
fondamentale. Une fois fabriqués les circuits mémoire et logique,
il s'agit de "brancher" entre eux tous ces circuits. C'est le domaine de
la "connectique" des techniques céramiques, des systèmes de
refroidissement.
D'autres techniques évoluent en parallèle, concernant les entrées
sorties, permettant les écrans couleur, les écrans à
ionisation, des imprimantes à laser, à impact, à jet
d'encre, les scanners... Quant au domaine des communications, il est explosif:
réseaux à large bande, réseaux numériques, fibres
optiques, commutation
temporelle, réseaux locaux...
La conséquence la plus marquante de ces technologies galopantes est
économique.
L'abaissement moyen des coûts de stockage est de l'ordre de 30% par
an en francs courants (cela coûte 30% moins cher tous les ans de stocker1
million de caractères), de l'ordre de 27% par an pour les calculs
(coût pondéré du million d'opérationspar seconde).
L'ordinateur, produit fini, qui n'est pas que de la pure technologie (il
y a aussi des câblages, des alimentations, des claviers... qui ne subissent
pas le même rythme d'évolution technologique) baisse de18% par
an en moyenne. Or, pendant le même temps, le prix des communications
(prix de la transmission d'un million d'informations) ne baisse que de 3%
par an !!! Ceci semble donner raison aux partisans du "small is beautifull'
car il semble que les prix du calcul et du stockage baissent plus vite que
le coût des communications !!
Or 61% des Français (études récentes de segmentation
"publicitaire" du type CCA) pensent, au niveau instinctif, que petit est mieux
que gros, que les grosses structures sont moins efficaces que les petites...
et trouvent ici une rationalisation supplémentaire.
Ont-ils raison ? Va-t-on vers l'informatique éparpillée? Nous
allons voir qu'il y a un autre facteur puissant qui va obliger les organisations
à communiquer de plus en plus, et il y a donc dans ce domaine une
dialectique complexe.
L'informatique, pour quoi faire?
Pendant ce temps les coûts humains vont en croissant. Est-ce donc
le but de l'informatique de remplacer des hommes par des machines ? Certes,
dans certains secteurs, l'industrie ne survivra pas face à ses concurrents
internationaux si elle ne fait pas, par exemple, des efforts accrus en robotique
etc. Mais ce n'est pas cela le
but majeur de l'informatique aujourd'hui. En effet on peut considérer
l'entreprise comme un système, plongé dans un environnement
de plus en plus complexe.
En supposant que rien ne bouge dans l'organisation d'une année sur
l'autre, les mêmes produits, volumes, procedures, habitudes... toutes
les entreprises avouent que c'est "comme si" les volumes avaient cru de 5%
en moyenne, en équivalent complexité...
D'ou viennent ces 5% mystérieux : pour les intellectuels, c'est l'entropie
croissante, le désordre "organisateurl' avec ses risques et opportunités.
Pour les autres, cela signifie la concurrence, un nouveau plan comptable,
une nouvelle législation, autant de facteurs qu'il faut assimiler.
Face à cet environnement, l'entreprise tente de rester intelligente.
Dans le cas d'une entreprise, l'intelligence peut se mesurer au temps de réponse
qu'a l'organisation entre la détection d'un besoin et l'émission
de la réponse appropriée, produit, service ou information...
C'est sa réactivité.
Ce seront les organisations les plus réactives qui seront les plus
compétitives. On peut d'ailleurs appliquer ce modèle à
un service,à un individu...
Ce que nous apprend la Théorie de Systèmes, c'est qu'il y a
une liaison "mathématique" entre volonté de réactivité
et accroissement de la communication interne dans les organisations. Nous
recevons cinq fois plus de papier sur nos bureaux qu'il y a 5 ans. Ce papier
est quelquefois inutile, mais est un symptôme de la croissance de l'information
interne générée par la volonté de l'entreprise
de rester réactive. C'est une des raisons profondes de la montée
du tertiaire, une autre raison étant l'automation qui déplace
les forces de production vers les activités de communication).
Les cinq scénarios de l'entreprise
Une entreprise est composée d'hommes et de femmes qui ont une capacité
limitée d'absorption d'information.
Un individu ne peut absorber plus d'une information par seconde. Cette information
est plus ou moins sophistiquée mais la conséquence est la suivante
: l'entreprise a une capacité limitée d'absorption d'informations.
Elle ne dispose, face à ce problème, que de cinq scénarios:
l'embauche ou la reconversion, l'éducation, l'organisation, la qualité,
l'informatisation.
. L'embauche ou la reconversion
Elle permet d'affecter plus de gens à traiter de l'information.
L'éducation
Elle permet à chacun d'accroître son aptitude à traiter
de l'information plus synthétique, plus intelligente.
. L'organisation
On peut réorganiser périodiquement tout ou partie de l'entreprise
pour trouver des structures de fonctionnement plus efficaces. C'est le scénario
du "taylorismel'
. La qualité
L'organisation taylorienne trouve aujourd'hui ses limites. L'idée qu'un
organisateur puisse inventer la bonne organisation à chaque instant
pour tous n'est plus adaptée à certains problèmes. Le
personnel, à la base, est de plus en plus indispensable dans un monde
en plein développement pour inventer à chaque moment sa bonne
"micro-organisation" en redéfinissant de bons contacts client-fournisseur
avec son environnement par un contrôle permanent et mesuré de
la conformité aux besoins.
. L'informatisation
L'objectif de l'informatique, dans ce cadre, est d'assister l'entreprise à
gérer ce surplus d'information, généré par sa
volonté de réactivité, et qu'elle ne pourra plus gérer
par des moyens humains.
Chacun de ces 5 scénarios a ses adeptes... Le génie propre de
l'organisation est de trouver son "bon" point d'équilibre entre ces
différents scénarios, entre ce qui relève des grandes
manoeuvres tayloriennes et ce qui justifie de "mobiliser l'intelligence de
l'entreprise".
Voila donc l'état des lieux : évolutions technologiques marquantes,
nécessité accrue de réactivité des organisations,
explosion du tertiaire de communication.
Mais pourquoi,en dépit de ces opportunités majeures, cela ne
se passe-t-il pas aussi bien dans la réalité des entreprises?
Pourquoi, malgré le champ ouvert par ces technologies, la majorité
des employés et cadres continuent à travailler avec un papier
et un stylo? Pourquoi une telle dis tance entre le fantasme et le passage
à l'acte?
Autoblocages de l'informatisation et nouvelles stratégies
Les budgets d'informatisation des entreprises croissent de 20% par an en
moyenne alors que le prix des ordinateurs baissent de18% par an. Pourquoi?
ou passe donc la différence?
Certes cela s'explique par les coûts humains accompagnateurs et les
logiciels, mais ne serait justifié que si de nouvelles applications
se développaient à une allure exponentielle, inverse de l'exponentielle
de la technologie... Malheureusement ce n'est pas souvent le cas. Pourquoi
ces phénomènes de difficultés de mise en place, ces autoblocages
de l'informatisation ?
Il ya 5 raisons principales, qui devront correspondre à 5 stratégies
fondamentales des entreprises, si l'on veut éviter ces autoblocages.
1- Dans les années 70, on pensait pouvoir développer les
applications les unes après les autres, successivement. La réalité
a été toute autre car, le monde changeant, les applications
se "déformentl' Il y a rétroaction permanente inter-applications
et les plans informatiques s'allongent... Il y a souvent blocage. Pourquoi
ce blocage?
Il est dû à l'oubli d'une définition de l'entreprise,
un lieu où l'on partage l'information. Or pour partager de l'information,
il faut un vocabulaire commun minimum. L'entreprise devra donc, à un
certain moment de son histoire, se poser les questions de fond : "qu'est-ce
qu'un client pourmoi à l'horizon stratégique, qu'est-ce
qu'un stock,..?", et déduire de cette réflexion sa structure
de données.
C'est la stratégie base de données de l'entreprise. Si on ne
la met pas en place, 90% des forces intellectuelles de l'informatique feront
la maintenance et l'amélioration de l'existant et très peu
de ressources resteront pour développer les nouvelles applications,
conditions de la réactivité.
2- Beaucoup de gens pensent que si l'on dote chacun d'un ordinateur
"à taille humaine" ce problème de cohérence ne se posera
pas, les acteurs maîtrisant leur vocabulaire "local" et que pour communiquer,
il suffira de "tirer des lignes" entre ces différents ordinateurs.
Cela n'est pas si simple.
Si l'on veut permettre à plusieurs ordinateurs de se parler, la communication
physique ne suffit pas. Il faut savoir converser, se dire "bonjour","au revoirl'
Une ligne ne suffit pas... Il faut un ensemble de protocoles, de règles
du jeu. Cela s'appelle une architecture de réseau. Comme beaucoup
d'organisations utilisent des matériels
de plusieurs constructeurs, c'est la nécessité de se doter
d'une architecture, d'une "loi-cadre" supportant l'hétérogénéité.
Dans ce domaine en évolution constante les choix sont particuliérement
cruciaux et supposent une bonne intuition technologique.
3- En ce qui concerne le développement d'applications, les techniques
existent qui permettent une certaine productivité informatique. Un
choix équilibré doit être fait entre ce qui relève
des logiciels tout faits et ce qui relève d'un développement
spécifique. Dans ce dernier cas, des techniques modernes doivent être
employées, pour générer des programmes de qualité
et une maintenance simplifiée. Les informaticiens devront adopter
(enfin ?) des critères industriels pour le développement informatique,
et devront être mesurés sur cette productivité...
4- L'informaticien a longtemps cru que c'était à lui
de développer toutes les applications. L'irruption des micros, des
tableurs d'un côté, des "libre-services" informatiques de l'autre
ont montré tout le potentiel de l'informatique "spontanée" où
l'utilisateur, sans informaticien, utilise ses données, les manipule,
les transforme. L'informaticien va-t-il disparaître? Certes non car
l'entreprise étant un lieu de communication, il faut une cohérence
minimale entre les structures de données, des règles communes
de communication.
De même que le génie de l'organisation était de trouver
le "bon" point d'équilibre entre organisation classique top/down et
l'appel à l'innovation bottom/up (taylorisme vs qualité), de
même l'informatique devra trouver son point d'équilibre entre
ce qui relève de la cohérence et de la communication et ce
qui doit être
traité en informatique spontanée.
5- L'entreprise a souvent investi en applications, a formé ses
utilisateurs à de nouvelles techniques et, deux ans plus tard, à
la suite d'annonce de matériels très attrayants (puissance,
stockage, relation homme/machine, fonctions,...), elle est tentée
de tout recommencer sur de nouvelles bases, les matériels n'étant
pas toujours
compatibles. De même, elle n'a aucune garantie que si demain elle veut
se centraliser, se décentraliser, etc... sur des matériels différents,
elle pourra le faire sans problème. Elle a donc besoin d'une architecture
d'application, garantissant la pérennité de ses investissements
logiciels, celle de l'éducation des utilisateurs, dans le
temps (quoiqu'il arrive aux technologies) et dans l'espace (quel que soit
le "jeu d'empilage" des matériels employés, et le jeu des connexions).
Cette garantie de pérennité est du domaine des constructeurs.
Des opportunités nouvelles
Quels que soient les objectifs de l'entreprise, l'imagination est stimulée
par les nouvelles technologies. L'entre- prise devra multiplier son nombre
de terminaux, de micros, fenêtres vers l'information, condition de sa
réactivité. Le ratio moyen actuel dans les entreprises aux
Etats-Unis est de 1 poste de travail pour 4 personnes,
tout personnel confondu (IBM :1 pour 1,5). En Europe, le ratio n'est que
de 1 pour 20 (1 pour15 si on compte les minitels)...
Un inhibiteur évident en Europe est le clavier auquel l'employé
et le cadre n'est pas habitué. Mais il est crucial de faire entrer
rapidement de la "High-tech" dans l'en-
treprise, particulièrement dans son tertiaire qui en est souvent
dépourvu.
En effet le personnel finit par penser que la vraie vie, la vie moderne, celle
où l'on cotoie la haute technologie, c'est la vie de consommateur privé.
Cela aboutit à une perte de consensus dans le monde du travail, la
vie "moderne" étant la vie au foyer !!
Des applications sont ouvertes dans de nombreux domaines, la robotique, le
scientifique, la CFAO, les nouvelles techniques bancaires, les cartes à
microprocesseurs, les minitels, la reconnaissance de forme,.... Malheureusement
ces applications sont souvent rêvées, mais rarement réalisées
à court terme, si l'entreprise ne sort pas de ses autoblocages...
L'informatisation progressive du grand public (minitels, micros) représente
une opportunité pour les entreprises.
Mais il faut savoir que nous vivrons de plus en plus dans un monde "d'opulence
communicationnelle"où la somme des médias et messages sera
largement supérieure à l'ensemble des désirs et besoins
des individus.
Tout "vendeur" est donc condamné à l'escalade technologique,
offrant un média de plus en plus riche, intégrant l'image pour
être compétitif avec la télévision, permettant
un dialogue informel, non "binaire" et donc sans doute à base de systèmes
experts...
Le grand public n'utilisera pas un média "pauvre"
La communication se fera par satellites (Te lecom 1,...), par réseaux
locaux (coaxe et fibre), ces réseaux véhiculeront, non seulement
des données informatiques, mais du texte, de l'image, de la voix, le
tout sous forme digitale.
Quelle organisation peut aujourd'hui négliger ces opportunités
?
Un cas particulier : la bureautique
Bureautiser, est-ce informatiser la secrétaire, qui certes travaille
avec des moyens archaïques, a un travail "en miettes" (10% frappe, 10%
classement,10% recherches, 30% téléphonie, photocopie,...) et
ne peut se consacrer à l'assistance au management?
Certes, quelques "manoeuvres" tayloriennes sont à faire pour sortir
de cet état. Mais ce n'est pas cela la bureautique. Les salaires du
tertiaire aux Etats Unis en 1983 représentaient1000 milliards de dollars,
dont 6% seulement représentaient les secrétaires/dactylos. Les
"bureautisés" de demain sont donc les autres, les cadres, les professionnels,
les administratifs.
Or à quoi passe son temps un cadre ? 49% de son temps il est en réunion
formelle ou informelle, ou téléphone, 3% en voyages, 25% de
temps perdu et, dans les cas favorables, 23% de temps à valeur ajoutée.
Son problème majeur est donc la communication, sachant que les autres
sont aussi absents ("il m'a appelé, je le rappelle, qu'il me rappelle"
!!!).
La bureautique est donc d'abord l'ensemble des techniques permettant aux
acteurs de travailler sans avoir besoin de la présence physique des
autres, dans leur propre espace/temps. C'est donc un art de la communication
plus qu'un art de la production...
... Face à l'ensemble de ces opportunités, le problème
du décideur n'est pas simple. Les conditions de la réussite
de l'informatisation sont maintenant connues: Cohérence et Communication,
Productivité informatique, Informatique Spontanée, Architecture
d'Application.
Mais l'informatique ne résoud pas tout et les autres scénarios
de l'entreprise -éducation, organisation, qualité- doivent être
développés en parallèles. Le choix
du "bon" point d'équilibre entre les différents scénarios,
tous nécessaires, représente le génie propre de l'entreprise
réactive.
Les cinq règles minimales pour réussir :
- Une loi-cadre sur le vocabulaire de l'entreprise, la stratégie
base de données
- Une loi-cadre sur la communication géographique, la stratégie
architecture de réseau
- Une définition industrielle des missions de l'informatique,
et les outils de productivité informatique afférents
- Le choix d'un point d'équilibre entre ce qui relève
du préprogrammé et ce qui relève du spontané
- Une architecture d'application garantissant l'avenir.
© Jean-François David et IBM France Diffusion Actualités 1984
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