QUALITE ET TERTIAIRE
 

Publié dans Nouvelles IBM France 1984
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Le concept Qualité a pris en quelques années un poids fondamental dans les entreprises occidentales. Les raisons principales en sont connues : montée du consumerisme qui s'intéresse de plus en plus au rapport qualité/prix, exemplarité du Japon capable de fabriquer des produits de haute fiabilité, voire avec "zéro défaut". Mais, autant on peut comprendre aisément les raisons pour les fabricants d'augmenter, par des techniques adaptées, la qualité de leurs produits, autant il est
quelquefois difficile de saisir la nécessité vitale et l'urgence pour le secteur tertiaire des organisations (cadres, professionnels, administratifs, secrétaires...) de modifier fondamentalement ses façons de faire et de se rallier complètement au concept Qualité de l'entreprise (TQC, Total Quality Concept).

La réactique

Toute organisation est confrontée à un environnement de plus en plus complexe et son intelligence se mesure à la possibilité de rester réactive à son environnement.
Qu'est-ce que l'intelligence d'une organisation? Une pierre, un objet, face à un événement extérieur n'a aucune réaction. Un niveau primaire d'intelligence est d'avoir une réaction face à un événement, comme un thermomètre réagit à une variation de température. Plus évolué, l'objet se "souvient" de son passé (mémoire) et "décide" de la conduite à tenir. Ainsi la cellule biologique peut créer un anticorps spécifique à un virus, grâce à sa mémoire chimique. Au niveau supérieur, un organisme (l'homme, l'entreprise, l'état, etc.), non seulement est capable de réactions aux événements grâce à sa mémoire et à son système de décision, mais encore se dote de buts (survivre, s'améliorer, croître, etc.) qui orientent ses décisions. Cette "théorie des systèmes", applicable à tous les systèmes vivants nous apprend une chose fondamentale : si une organisation veut rester réactive à son environnement de plus en plus complexe, la conséquence inéluctable est un accroissement de la communication inteme dans l'organisation. De même que l'ARN messager informe les chaînes d'ADN des nouveaux événements, de même l'entreprise est amenée à multiplier ses systèmes de communication interne pour rester réactive. Nous recevons cinq fois plus de papier sur nos bureaux qu'il y a cinq ans. Ce papier est quelquefois inutile, mais est un symptôme de la croissance de l'information interne générée par la volonté de l'entreprise de rester réactive. C'est une des raisons profonde de la montée du tertiaire (une autre raison étant l'automation qui déplace les forces de production vers les activités de communication).

Un environnement de plus en plus complexe

On a trop tendance, dans notre monde moderne, à oublier une loi fondamentale de l'univers, appelée le deuxième principe de Carnot. Elle dit, en synthèse, que si l'on ne fait rien, le monde tend naturellement vers le désordre, vers l'inorganisé. Le vivant, l'entreprise, écoutent, dans ce désordre croissant, qui, sont peuvent devenir des informations, des messages. Les entreprises peuvent, grâce à un travail, en déduire des actions, des organisations les aidant à atteindre leurs buts. Des études multiples faites dans les sociétés démontrent que, même si rien ne changeait d'une année sur l'autre (mêmes volumes, mêmes produits, mêmes clients, mêmes hommes) il y aurait de l'ordre de plus de 5 % de "complexité" à absorber tous les ans (nouvelles législations, concurrence, nouveau climat social, etc.). Ceci implique, pour absorber cette complexité, un accroissement formidable des besoins en communication interne.

Les cinq scénarios de l'entreprise

Une entreprise est composée d'hommes et de femmes qui ont une capacité limitée d'absorption d'information. Un individu ne peut absorber plus d'une
information par seconde. Mais l'information n'est pas la même pour tous. Pour l'enfant qui apprend à lire, l'information est la lettre (il ne peut pas en
lire plus d'une par seconde) puis c'est le mot. Pour le responsable administratif, c'est : "la facture K 2373 est fausse". Pour le dirigeant, c'est : "le dollar a pris trois points". L'information peut être plus ou moins sophistiquée. Mais la conséquence est la suivante : l'entreprise a une capacité limitée d'absorption d'informations. Elle ne dispose, face à ce problème, que de cinq scénarios: l'embauche ou la reconversion, l'éducation, l'organisation, l'informatisation, la qualité.

. L'embauche ou la reconversion
Elle permet d'affecter plus de gens à traiter de l'information.
. L'éducation
Elle permet à chacun d'accroître son aptitude à traiter de l'information plus synthétique, plus intelligente.
. L'organisation
On peut réorganiser périodiquement tout ou partie de l'entreprise pour trouver des structures de fonctionnement plus efficaces. C'est le scénario du "taylorisme".
. L'informatisation
Son objectif est désormais d'assister les entreprises à traiter l'hypercroissance d'informations générée par leur volonté de réactivité. C'est de moins en moins de l'informatique pour produire, de plus en plus de l'informatique pour communiquer.
. La qualité
L'organisation trouve aujourd'hui ses limites. L'idée qu'un organisateur puisse inventer la bonne organisation à chaque instant pour tous n'est plus adaptée à certains problèmes. Le personnel, à la base, est de plus en plus indispensable dans un monde en plein développement pour inventer à chaque instant sa bonne "micro-organisation", en redéfinissant de bons contacts client-foumisseur avec son environnement par un contrôle permanent et mesuré de la conformité aux besoins.
L'entreprise utilisera dans la décennie l'ensemble de ces cinq scénarios dont le moindre n'est pas celui de la qualité.

L'exercice de la responsabilité

A quelque niveau que ce soit, que signifie dans l'entreprise l'exercice de la responsabilité, du pouvoir? Il est clair que c'est, d'abord, de bien savoir de quel processus nous sommes responsables (vendre, faire des présentations, arbitrer, gérer, saisir, fabriquer, communiquer, contrôler, etc.). Ensuite d'avoir une connaissance suffisamment précise des relations de ce processus avec les autres processus (clients et fournisseurs) dans l'entreprise.
Dans le tertiaire, ce qui s'échange entre les clients et les fournisseurs est bien souvent de l'information (commande, saisie, etc.) grâce à un support de l'information (contact direct, papier, écran, téléphone, image, etc.). Ensuite, et c'est le point clé, il faut être capable de mesurer si le processus dont on est responsable est "sous contrôle". Par exemple, devoir répondre au courrier dans un certain délai oblige à connaître, donc à mesurer ce processus dans le temps, en analysant chaque anomalie statistique (périodicité, point anormal, etc.).
La mise sous contrôle des processus est indispensable.
Si le processus est relationnel (fournir de l'information, etc.), le système de mesure doit être accepté en consensus avec le client, avec le fournisseur.
Les groupes d'amélioration de la qualité (GAQ) multifonctionnels en donnent la possibilité.
Des techniques servent les groupes à approcher ces problèmes.
Par exemple, le diagramme cause-effet permet de mettre à plat les causes de dysfonctionnement, de non conformité, d'anomalies statistiques et de
connaître l'arborescence des causes et leur poids dans les anomalies. Une fois le processus mis sous contrôle, stabilisé, ses résultats ne répondent peut-être pas au besoin du client interne ou externe qui a besoin d'une valeur "meilleure". Ce sera le "zéro défaut" que le groupe va tenter d'atteindre en changeant le processus de façon rationnelle, par élimination des causes de non conformité.
Il n'y a pas d'amélioration de la qualité sans invention (nouvelle procédure, informatisation, nouvelles habitudes, etc.).
Seule la créativité du groupe permet d'inventer ce qu'il faut pour amener les processus dont il est responsable à un meilleur niveau de fonctionnement.

Files d'attente et qualité

Face à l'hypertrophie de l'information de l'entreprise, que font les individus ? Ne pouvant pas tout traiter en même temps, ils créent des files d'attente d'information (pile de dossiers à traiter, liste de télex à lire, réponse aux appels téléphoniques, états à remplir, etc.). Chacun gère à son niveau ces files d'attente avec son propre système de priorité. C'est la gestion de son temps qui n'est pas si facile (entre les choses urgentes et peu importantes, mais faciles à faire, et les chosesmoins urgentes, difficiles mais fondamentales, la tendance naturelle est de traiter les premières d'abord).
Ces files d'attente sont un frein fondamental à la réactivité de l'entreprise.
On peut, à ce sujet, utiliser une analogie industrielle. Toyota, fabricant japonais d'automobiles, utilise en production un système appelé "Kanban" ("juste à temps"). Pour diminuer le coût de ses stocks intermédiaires entre les machines-outils, il a adopté un système "dirigé par l'aval". En cas de risque de manque de pièces en aval on envoie un ordre de fabrication vers la machine amont qui, si elle manque de pièces, fait la même chose vers l'amont, l'amont ultime envoyant alors seulement un ordre de livraison au fabricant de tôles.
On peut transposer ce modèle dans le domaine de l'information où l'aval pourrait, en cas de besoin, faire agir le plus rapidement possible son amont pour faire remonter l'information ("il y a un besoin") en diminuant les stocks intermédiaires d'information, le papier, l'attente, etc.
La culture japonaise permet cette réactivité, grâce au fort engagement des acteurs. En Europe, chacun veut préserver sa "bulle temporelle", traiter les informations à son rythme. C'est sur ce problème que les entreprises devront trouver des solutions originales visant à diminuer la marée blanche de papier et de messages, la sur-information polluante, à réduire ses files d'attente.
Le tertiaire de l'entreprise est fortement concerné par trois des cinq zéros de la qualité (zéro défaut, zéro stock, zéro papier, zéro délai, zéro panne).
"Zéro défaut" ne signifie pas dans ce cadre quelque concept sur-humaniste, mais la mise sous contrôle des processus et l'obtention de la conformité au besoin du client, en provoquant des changements rationnels et créatifs.
"Zéro papier", "zéro délai" signifient qu'il est vital de diminuer les attentes dans le fonctionnement de l'entreprise pour obtenir la réactivité de l'organisation aux événements.
Lorsque l'on regarde les énormes gâchis humains, financiers, matériels des entreprises, des stocks qui dorment aux factures refaites, des temps perdus aux erreurs en tout genre, le peu de temps passé par les individus à créer de la valeur ajoutée, empêtrés qu'ils sont dans la gestion des défaillances, on conçoit toute la valeur du concept Qualité.

Stratégie collective, stratégie individuelle

Mettre en place la philosophie Qualité dans des entreprises déjà dotées d'un système de "management" efficace aboutit à des scénarios variés. Par exemple, le système d'organisation d'IBM est un système de "management par conflits arbitrés" visant à faire que chaque acteur pousse dans sa direction (la productivité, la vente, les produits, la finance, etc.), entrant donc en conflit naturel avec les autres fonctions et services. Un système de résolution de ces conflits (le plan, les arbitrages de direction, etc.) est structurellement prévu. Dans ce cadre chacun se bâtit sa stratégie individuelle, en fonction de ses objectifs, de ses ressources,
de ses contraintes. Cela peut nuire à la résolution de problèmes liés à des grands processus croisés (facturation(etc.), car chacune des fonctions peut avoir des objectifs non convergeants sur ce problème. Il est donc nécessaire de nommer des responsables des grands processus croisés, capables de faire arbitrer leurs problèmes avec ceux des autres au niveau direction. Mais il est surtout nécessaire d'apprendre à chacun que, pour mieux servir sesobjectifs individuels, explicites ou cachés, il a tactiquement intérêt à jouer "ouvert" plutôt que "fermé", à jouer "coopératif" plutôt que "personnel". C'est une des leçons de l'expérience Qualité dans les entreprises.

Vers une entreprise réactive

Que ce soit dans la production ou dans le tertiaire, le combat de l'entreprise semble le même et les tactiques semblables: pour survivre, l'organisation doit rester intelligente, réactive à un environnement de plus en plus complexe. Elle doit utiliser pour ce faire l'ensemble des cinq tactiques (emploi, éducation, réorganisation taylorienne, informatisation, qualité). Mais le scénario Qualité prend un poids exceptionnel. Permettant un meilleur exercice des pouvoirs dans l'entreprise (création de valeur ajoutée, contrôle des processus, relation client-fournisseur), responsabilisant les acteurs (travail en groupe, système de mesure, conformité au besoin, prévention, "zéro défaut"), diminuant les files d'attente, créant un potentiel de coopération entre les divisions et les services, entre les "staffs" et les "lines", il permet de
faire que l'on passe moins de temps à l'inutilité, et à chacun de développer une activité créative et motivante.
Dans le tertiaire, le point fort est la qualité de l'information (QI).
Nous sommes, nous serons tous des "qualiticiens" de l'information, recevant, filtrant, réémettant de l'information vers les autres, sans délai, sans défaut, sans papier inutile. Face à la complexité du monde, seules survivront les entreprises qui auront augmenté leur QI... .
 
 

                                                        © Jean-François David et Nouvelles IBM France 1984

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