Qualité et Informatique:
Une approche systémique

Les relations entre l'Informatique et les mouvements Qualité ont toujours été relativement complexes.

D'un coté il faut sans nul doute arriver à un niveau de qualité supérieure pour diriger un satellite, gérer un réseau mondial sans problèmes, assurer la gestion de l'espace aérien, ...etc.... D'un autre coté, dans les entreprises, lorsque l'on évoque l'informatique auprès du personnel, on constate un niveau d'insatisfaction historiquement permanent... L'informatique semble ainsi naviguer entre l'utilisation de techniques lui permettant de développer la qualité totale, de se faire certifier ISO 9000, et des difficultés permanentes avec ses clients, ce qui pourrait faire penser qu'elles sont structurelles! D'où vient ce phénomène, a-t-il une rationalité, des éventuelles solutions. De quel modèle mental s'armer pour pouvoir parler de Qualité de l'Informatique?

La qualité de l'informatique implique, de prime abord, deux notions assez distinctes: la qualité production/exploitation et la qualité conception. Ce sont deux sujets très différents, quoique imbriqués: la qualité de la production dépend fortement de la fiabilité globale des matériels, des réseaux, celle de la conception dépendent des logiciels, qui doivent être adaptés aux besoins, ne pas "bugger", ...Entre les deux types de qualité, celle des systèmes d'exploitation, interfaces entre matériels et logiciels est cruciale. Mais la qualité en informatique a bien d'autres sens: des certifications à l'auto-évaluation, de la cartographie et la maîtrise des processus d'informatisation aux indicateurs de satisfaction, des métrologies aux techniques avancées de conception, ....

Trente années d'histoires...

Il est intéressant de mettre en parallèle trois histoires: celle des concepts de management, celle de la qualité, et celle de l'informatique.
La fin des années 60 correspond au vrai développement de l'informatique dans les entreprises. La technologie de l'époque implique le centralisation des moyens, les concepts de management sont encore souvent tayloriens, la productivité est l'objectif, la qualité en est au contrôle qualité. Les informatiques de l'époque font déjà de la qualité sans le savoir, tentant de diminuer les défaillances en soignant la conception, en travaillant les concepts de "programmation sans pannes".

Au milieu des années 70 la compétitivité américaine commence par être menacée, dans des domaines comme l'automobile ... et l'informatique par la qualité des produits japonais. Apparaissent alors les concepts de management par objectifs, avec une reprise de pouvoir des DRH. On commence à contester l'informatique centralisée (le grand chaudron), et le manque de délégation décentralisée.
Au début des années 80, les entreprises françaises redécouvrent le concept Qualité. Il s'agit de redonner, particulièrement dans l'industrie, de la compétitivité à l'entreprise, suite à la prégnance de plus en plus forte des produits japonais, dans l'automobile, l'électroménager, l'informatique, ...
C'est alors la floraison de cercles de qualité, de groupes d'amélioration, dans l' "entreprise de troisième type" appelée de ses vœux par Hervé Serieyx.
L'informatique, à ce moment, grâce aux mini-ordinateurs et aux "infocentres", est amenée à donner plus de pouvoir à ses utilisateurs, capable désormais de gérer une partie de leurs programmes, de leurs données. Les concepts de management préconisent alors la décentralisation des pouvoirs, les 'business units'...

Vers la fin des années 80, les entreprises qui ont menés des stratégies Qualité rencontrent un nouvel enjeu: doit-on laisser l'organisation s'auto-optimiser avec ses groupes et ses cercles ou doit-on focaliser les énergies sur quelques finalités clés, symbolisées par quelques processus clés, que l'on doit alors "mettre sous contrôle"...C'est aussi la montée en charge des mouvements de certification.
Les écoles de management préconisent alors les structures matricielles, l'analyse de la valeur. Les informatiques quant à elles tentent de gérer la cohérence entre leurs systèmes centraux et l'émergence explosive des micro-ordinateurs...

Au début des années 90, les organisation redécouvrent brusquement le Client, qui est l'arbitre final de la Qualité. Comment lui offrir le "Service Compris" de haute qualité, détecter ses désirs, le faire "entrer" profondément au cœur des organisations, développer un approche Qualité, non pas "poussée" par les produits et services, mais "tirée" par le marché?
Les concepts de management préconisent alors la vitesse, comme arme concurrentielle, pour "vaincre le temps"...
L'informatique tente alors d'aller, à la suite de certains pionniers, vers l'informatique stratégique, fidélisant les clients et les fournisseurs par des services à valeur ajoutée créatifs, verrouillés par une technologie d'avance... Elle lance aussi à cette époque sa stratégie client/serveur.

La fin des années 90 ont fait apparaître d'autres problématiques en qualité:
- Montée en puissance des réflexions de type Malcolm Baldrige, EFQM, MFQ visant à stimuler la compétitivité, dans un monde globalisé, des entreprises respectivement US, européennes et françaises.
- Les mouvements Qualité visent à améliorer, de façon continue (Kaisen) les processus de l'entreprise, le "reengineering" vise à les casser profondément, là ou l'amélioration continue ne suffit pas. Comment dans ce cadre réconcilier dans la pratique, au delà des discours, les ruptures indispensables avec le besoin d'amélioration continue?
Les concepts de management préconisent alors la cohérence stratégique, tentent d'amener les organisations sur la voie complexe du sur-mesure-de-masse, offrant aux différentes catégories de clients des services différencié, mais toujours au moindre coût, avec une qualité parfaite et dans des délais raccourcis
L'informatique en est alors au travail sur les infrastructures (pour gagner sur le court terme et fiabiliser le long terme), la modélisation "objet", préconise un monde en réseaux, lance les internets et intranets, s'imbrique dans les approches humaines à travers la gestion du capital intellectuel, le "knowledge management",...

Cette vision, certes très réductrice, démontre assez le relatif synchronisme des concepts adoptés par les modes managériales, les concepts qualité et les concepts informatiques....

Brève problématique de la qualité informatique

La spécificité de l'informatique s'explique tout d'abord par ses technologies. Du point de vue matériel, c'est un secteur ou l'abaissement annuel des prix est d'environ 20% en monnaie constante, et ce depuis 20 ans! Que ce soit dans les domaine des mémoires, des outils de calcul ou des communications, ce ratio risque encore de rester vrai pendant les 15 prochaines années... Pendant le même temps, le coût humain des logiciels et des services continue de croître.
Ceci amène donc les informatiques, pour faire profiter les entreprises et leurs clients de ces nouvelles opportunités, à être en re-ingéniérie permanente, tout en tentant de sauver un minimum de compatibilité avec le passé.
Citons en vrac quelques uns des problèmes (et solutions adoptées par certaines entreprises, mais pas par toutes...) , que les informatiques ont eu à résoudre, pour avancer en qualité:
- Comment arriver à rendre comparable en qualité deux développements, l'un d'un million de lignes de codes en langage traditionnel, l'autre fait à l'aide d'un tableur sur un micro? (solution: les points de fonctions,...)
- Comment jouer son rôle de stimulateur de technologie dans l'entreprise sans se faire accuser d’inflationniste budgétaire? (solution: les groupes méthodes et projets dans les directions verticales et transverses, ...)
- Comment satisfaire les clients pendant toutes les phases: définition des besoins, phases de développement, réception, production, maintenance? (solution: les contrats de services, ...)
- Comment développer la qualité de son développement? (solutions: techniques de qualité des logiciels, auto-évaluations, mise sous contrôle des processus de développement, ...)
- Comment connaître les besoins et désirs de ses clients internes et externes? (solutions: enquêtes permanentes, benchmarks, prototypages d'applications, ...)
- ...
Se pose alors la vrai question: Qu'est ce aujourd'hui que la Qualité Informatique?

Prenons un exemple grand public: On se connecte au Web et, en surfant, trouvons le site de l'entreprise x. Qu'est ce qui va nous faire dire que ce site est de Qualité, qu'il est conforme à notre besoin, qu'il nous rend réellement un service? Si je suis un chercheur, les belles images présentées vont plutôt me gêner. Si je suis un acheteur potentiel, je serai plutôt stimulé par la fiabilité des données, des paiements, par la rapidité. Si je suis un béotien, je serai plutôt impressionné par le foisonnement d'informations, les sons et les images. Si je suis un utilisateur averti, c'est le rôle de "portail" de ce site vers le reste du monde qui va m'intéresser...
On voit bien, dans un monde différencié, qu'il est très difficile d'imaginer une informatique idéale", satisfaisant tous types de besoins. On a besoin dans ce cadre d'un nouveau modèle mental.

Un modèle systémique de la relation externe/interne de l'entreprise (inspiré de Boynton et Pines)

On peut modéliser l'entreprise suivant deux axes:

L'un vertical, représente l'environnement, qui peut, suivant le métier que l'on a, la période où l'on est,... être relativement stable ou très turbulent.


L'autre horizontal, représente les mécanismes que l'on peut maîtriser en interne pour jouer sur cet environnement. Ce sont en majeur les processus (organisation), les hommes, les technologies. Ces mécanismes peuvent être stables (on fait comme hier...) ou très dynamiques (révolution permanente)
Historiquement, au moment de sa création l'entreprise est en mode invention: elle invente un nouveau produit ou service, profitant des turbulences de l'environnement, avec un nouveau procédé. C'est en général (pour que celà marche...) à forte valeur de différenciation, avec des coûts un peu fort, car les processus ne sont pas encore stabilisés.
L'entreprise tente alors d'industrialiser son processus, en stabilisant son produit et en fiabilisant son processus. Elle est alors en production de masse, à faible coût.
Mais désormais les marchés ont changés : Ce que veut le client, c’est un produit quasiment sur mesure, et ce à un coût minimal, avec une haute qualité et dans un délai raccourci. Ce n’est plus sur-mesure ou coût ou qualité ou vitesse, mais tous les facteurs en même temps ! Par quel miracle peut-on fournir ces services supérieurs  dans ce nouveau monde de sur-mesure-de-masse (mass customization) ?
Toutes les expériences des entreprises montrent qu’il faut alors passer par une phase cruciale de transformation (par amélioration continue ou rupture suivant la distance à parcourir) où l’on va casser ses mécanismes internes pour les rendre aptes à délivrer le niveau de sur-mesure-de-masse exigé…

Il existe donc un cycle pour les entreprises : invention ->production de masse -> transformation -> sur-mesure-de-masse -> invention -> …

L’entreprise va se trouver à un certain moment dans l’une de ces phases, en fonction de son marché et de ses mouvements internes.
Ce modèle mental de la relation environnement/mécanismes interne va nous permettre de décoder un certain nombre de phénomènes concernant la relation qualité / informatique.

Mise en perspective de quelques phénomènes
(Les tableaux synoptiques présentés ont été co-développés avec Emmanuel Monod, Maître de Conférences à l'Université de Sciences Economiques de Nantes.)

Il est intéressant de décoder d’après ce modèle certains phénomènes :
Regardons par exemple les critères EFQM sous cet angle :

                                                    Invention             Production Masse             Transformation             Sur-Mesure-de-Masse

Leadership                              Charisme                 Autoritaire                             Faciliteur                             Orchestrateur

Déploiement stratégique        Adhésion                 Top/down                             Bottom/up                           Réseaux

Management des ressources    R+ f(svces)                 R-                                     R+ (enablers)                       R adaptées

Management des hommes        Knowledge             Efficacité                               Coopération                         Différencié

Management des processus     P=Procédé             P=Procédure                         P=Processus                        P= ‘core lego’

Management des partenaires  Confiance                 ISO                                     Sous-traitance                      Alliances

Résultats hommes                 Adhésion                 Social                                 ‘shared values’                       Appartenance

Résultats clients                    Prod/Svce                 Q                                         Fidélité                               Adaptation

Résultats                               Croissance             Profit                                       Processus                             diff f(BU)

Résultats partenaires             Durée                  Coûts                                     % Coopération                     %CA généré

Sociétal                                 Emploi                     Citoyen                                 Process adéquation                Image globale

Ce qui est alors important pour l’entreprise, c’est la cohérence entre eux, à un instant donné de ces différents facteurs. Mais l’entreprise doit aussi anticiper certains mouvements, pour ne pas rester trop longtemps dans le quartile où elle est, et doit être capable de créer alors certains désalignements, certains ’déséquilibres efficaces’…
Si l’on regarde sous le même angle les mouvements stratégiques de l’entreprise on trouvera :

                                                Invention             Production Masse                  Transformation                 Sur-Mesure-de-Masse

Concepts de management     Knowledge Mgt            Productivité                           Qualité, Bot/up                         Client
                                                                                    Centralisation                         Reengineering

Mouvements Qualité         ‘ébéniste’                 CTL Q, ISO                             Processus, EFQM                 Customer Driven Q

Dominante produit/service  ‘question mark’             ‘cash cows’                                 ‘dogs’                                 ‘stars’

Fonction privilégiée            R&D                            Finance                                 Organisation/RH                     Marketing

Enfin, si l’on observe (un peu trop) rapidement l’informatique on peut voir :

                                                Invention             Production Masse                  Transformation                 Sur-Mesure-de-Masse

Mode informatique             Stratégique                 Productivité                         Commun. Int/Ext                     Ecoute client/marché

Mode WEB                         De réseau                     D’image                                 De commerce                             De ‘portail’

Les Données                     Techniques                 BD classiques                             Infocentres                                Data Mining

Les Réseaux                     En réseaux                     Centralisés                             Client/Serveurs                             Adaptés

La plupart des insatisfactions devant les prestations de l’Informatique de l’entreprise viennent du manque d’analyse de ces facteurs.

Ce qui va définir la Qualité de l’informatique, ce sera d’abord la cohérence de son mode avec celui du quartile de l’entreprise à un instant donné, et ensuite son rôle anticipatif de facilitation pour aider l’entreprise à changer de quartile, tout en utilisant au mieux les opportunités fantastiques des technologies évolutives…
 

                                                                    © Jean-François David et Qualité en Mouvement 1998

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