SALONS

Le Printemps de l'an 2006

Jean-François David (*) 1986 / 01 INFORMATIQUE N° 907, republié dans N° 1000
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Le "Printemps européen" Entique (**) 2006 ouvre ses portes au palais des expositions de Disneyland, en synchronisme avec le NCC américain et le MC japonais. Plusieurs nouveautés marquantes sont à noter. Un RVA (réseau à valeur ajoutée) permet aux curieux d'accéder à l'information depuis leur entreprise ou de chez eux, grâce au système "Scan & Select" qui permet de dialoguer à distance avec le stand de leur choix de l'un des trois salons. Mais Disneyland attire encore les foules... Quoi de neuf dans l'entique ?

(*) C'est un peu l'intellectuel "enfant terrible" d'IBM France. Entré à la compagnie au début des années 60 après quelques années d'enseignement, Jean- François David est actuellement chef de fonction à la direction du marketing. Mais il est en outre co-auteur de Ordinateurs (Laffont), conférencier et signataire de nombreux articles. Parmi ses spécialités, l'organisation des entreprises, le tertiaire, informatisation et société, les relations homme/machine, etc.
Il exprime ici sous une forme quelque peu humoristique une vision personnelle de l'avenir, mais cela à la lumière d'authentiques phénomènes actuels.
(**) Le mot entique, contraction de " entreprise informatique ", a désormais remplacé le mot informatique, trop usé au niveau politique et trop grand public. Cela permet à la revue 06 Entique (01 est devenu le numéro de l'année depuis l'an 2000...) de sous-titrer : " Beau comme l'entique "...

Quoi de neuf en entique ?
Encore des nouveautés en DPC (Data Processing & Communication) (***) : cette année, j'ai personnellement noté quelques nouveautés marquantes : plusieurs nouveaux réseaux à valeur ajoutée d'origine diverse. Certains permettent l'accès à des banques de données de connaissance de systèmes experts, d'autres téléchargent votre ordinateur portable avec des images d'actualité numérisées, ou encore un réseau de " lettres confidentielles ".
Un système expert en organisation de type Espace permet le diagnostic et la mise en place des structures de responsabilité, de plan, de pourcentage d'intraprenariat (****), pour un coût inférieur à 3 % de votre CA annuel.
Encore une étape dans la miniaturisation : E-Watch Inc. dote votre poignet d'un nouvel écran à effet holographique dont le pixel virtuel est inférieur à 10 microns, et monte la capacité de mémorisation à 4 Go (le nouveau chip E-Watch). Le téléchargement est rendu plus facile grâce au E-Watch RVA, qui vous donne accès (en télé-débit !) à 70 % des réseaux existants.
De la fibre en kit : pour bricoleur de LAN, initiation rapide : fibre 5 Go, testeur de protocoles jusqu'à couche 5 Isosi (pour 6 et 7, voir votre constructeur favori en fonction de la technologie changeante).
Le stand de biotechnologie entique a fait recette. En effet, grâce aux avancées scientifiques en décodage génétique, la création du programme Vie-atique (simulation de la vie cellulaire, regénération de message ARN messager défaillant, reprogramation de cellules, etc.) et sa mise en place dans les unités de soins, cette année voit l'émergence du biochip "La Digitale " (cellule humaine avec chip d'ARN-assistance intégré), télé-contrôlable. Ses impacts sur la guérison du cancer-2 (divergence d'entropie cellulaire) et du syndrome entique (divergence d'entropie neuronique) sont bien connus, et les prix baissent...
Programme de fidélisation de clientèle par un nouveau couplage RVA-auteur-micro fournissant un média riche, permettant de forcer la porte de la C-opulence.

(***) DPC est peu utilisé en France, où l'on préfère les mots en " tique ", parce que le jeu de mot DéPecé est facile...
(****) Depuis les années 90, la notion d'intrapreuneur (entrepreneur interne à l'entreprise) s'est largement développée.
 

La C-opulence, un vieux concept rénové...
Le concept d'opulence communicationnelle date de vingt ans (Moles). Il prend tout son sens aujourd'hui. Dans les sociétés occidentales, l'homme 06 est plongé dans un bain de médias.
Sursaturé d'informations sous forme de sons, d'images, de textes, de données venant de ses écrans portables, du foyer, de la publicité, des Etats, il reçoit toutes les informations du monde par réseaux, satellites, etc. On réalise un phénomène, déjà émergeant il y a vingt ans, que l'ensemble des informations et communications est largement supérieur à l'ensemble des besoins et désirs de l'individu.
Il choisit donc (par paresse ?) de privilégier les médias " chauds " et riches (images et sons de qualité), au détriment des médias " froids " (logiques, calculs, textes). Les vendeurs de messages (marketing, politiques), pour accéder à l'individu, doivent se livrer à une escalade médiatique permanente. L'ordinateur, devenu le pont entre le discours et l'image, joue un rôle privilégié dans cette communication. L'utilisateur est amené à privilégier le média qui lui offre la satisfaction la plus complète : physique (son, image...), intellectuelle (verbalisme, discours...), psychologique (images inconscientes, archétypes), morale (concepts latents), de la façon la plus sécurisante (fiabilité, " répétabilité", risque nul...), au coût moindre, de la façon la plus facile (convivialité).
De plus, la logique binaire (si: ce n'est pas vrai, c'est faux) est considérée depuis 1991 comme un risque culturel (et marketing) au niveau de l'entique grand public, qui d'ailleurs la rejetait; cette nécessité de permettre l'accès à l'entique sans être obligé d'entrer dans les raisonnements " square " a favorisé à notre époque l'émergence de nouveaux langages de relation homme/machine issus de l'IA et permettant à une pensée " floue " de communiquer avec les logiques machines.

2006, l'entreprise de l'espace
L'entreprise 2006 est confrontée à de nouveaux problèmes.
Seule l'entreprise du 7e type (Seryiex 91), modèle à la fois en Californie et en Europe, émerge du lot.
En effet, c'est la problématique de son tertiaire qui détermine désormais le succès ou l'échec de l'organisation. Confrontée à une complexité croissante (la fameuse loi des 5 %/an, Booz Allen 89), l'entreprise doit sophistiquer sa communication interne : Son " intelligence " peut être mesurée à son taux de réactique (temps de réaction entre détection du besoin et commercialisation du " produit ").
Le théorème de Lemoigne (cf. Harvard Business School Review 1998, " Files d'attente dans le tertiaire et facteur espace ") démontre assez bien que :

R = 1 / h * (log (V * Ch * En * n)) * E / C

h : Constante de " planque " différenciant secteur assisté et secteur concurrentiel
V : Vitesse de communication
Ch : Taux de chunk (lié au niveau culturel des acteurs)
En : Taux d'informatisation
n : Nombre d'employés tertiaire communication
C : Facteur de complexité interne
E : Facteur espace
R : Reactofacteur de l'entreprise

L'entreprise n'a que cinq scénarii .
. plus d'employés dans le tertiaire de communication (facteur n): difficile en 2006, du fait de la pyramide des âges et de la difficultés d'embauche,
. un temps de plus en plus important de chacun des acteurs à faire du tertiaire de communication (ce qu'il fait qu'il génère de moins en moins de valeur ajoutée),
. Des individus plus éduqués (facteur Ch) : malgré le plan " Bac pour tous an 2000", l'éducation forcenée à la logique binaire à l'école, la culpabilisation parentale
 (" votre enfant sera un infirme de demain s'il ne pose pas ses petits doigts sur la E- Watch ! "), le niveau moyen culturel dans l'entreprise est encore trop faible, comparé à nos voisins.
. Plus d'entique et d'information (facteur v, facteur En) : mais l'entique n'est pas si simple à réussir (cf. § Les autoblocages de 06)
. Un meilleur facteur espace :
 

Peu d'entreprises accèdent à cet état du 7ème type. On les appelle les "débloquées"
La théorie du facteur espace prouve que seules survivront entreprises qui auront trouvé leur point d'équilibre, leur "espace" entre l'organisation centrale nécessaire à la cohérence et l'innovation locale, vivante et quelquefois subversive. Elles auront réglé leur problème de " centralisation/décentralisation des pouvoirs " (Ouchi 1989), la somme des sous-optimisations créatives concourant enfin à l'optimisation globale.
Après les périodes du "tout cohérent" (1970), du tout californien (1980), du tout régulé (1990), l'entreprise du 7e type émerge avec un point espace (le lieu idéal où mettre la frontière entre pouvoir central et pouvoir local) enfin identifié et géré dans le temps.
Cela fait dire à James Martin (dans son 83e ouvrage " Le Point E et l'entreprise") :"Les seules entreprises qui génèrent du plaisir efficace sont celles dont on a trouvé le fameux point E ! "
La différenciation entre les outils de productivité collective de l'organisation et les outils de productivité personnelle servant les intrapreneurs (Entreprise & Progrès 1986, déjà vingt ans...) est enfin formalisée, ainsi que leur articulation et leur espace-temps.
Les "Nouveaux Organisateurs" (Le Groupement Nô) proposent la méthodologie "Espace" pour faire émerger enfin projets d'entreprise, schémas directeurs, permettant d'accéder au 7e type.
Face à un environnement fluctuant, dans une compétition exacerbée, dans un nouveau climat marketing où le média compte plus que le message, peu d'entreprises accèdent à cet état du 7e type. On les appelle les " débloquées ".

En entique, l'entreprise de 2006 a encore des problèmes, malgré l'explosion des technologies. La multiplication des données de tout type a rendu plus crucial le constat qu'une donnée n'est jamais neutre, qu'elle est le "reflet de l'idéologie qui la code" (Melese, 1996). Le manque de réflexion autour du projet (de l'individu, de l'entreprise, de l'Etat...) a conduit à une certaine anarchie des structures de données, enjeu des batailles de pouvoir dans l'entreprise. Les méthodologies systémiques existent depuis trente ans mais beaucoup manquent encore de courage pour les utiliser.
Cela aboutit au fait que 72 % des entreprises passent plus de 90 % de leur temps à maintenir l'existant au lieu de se consacrer à l'entique réactique : les applications nouvelles! Seules quelques entreprises (28%) ayant appris à isoler le noyau dur de leurs données, le noyau de " co-mémorisation ", reflet du projet et de l'idéologie de l'entreprise, sont sorties de cet autoblocage.
Dans un monde où 96 % des puissances machines sont utilisées en mode libre-service (programmation sans programmeurs), grâce à des logiciels variés où l'IA s'est banalisée (" l'intelligence artificielle, cette prothèse à la bêtise naturelle ",Moreau, 1990), où l'expertise dans tous les domaines est désormais à la portée de tous, où la reconnaissance de forme (voix, image) a enfin franchi il y a sept ans le seuil de rentabilité (y compris sur E-Watch), il est un peu triste de voir le faible niveau d'entique de nos entreprises, autobloquées dans leurs problèmes.
Un deuxième blocage de certaines organisations vient de leurs réseaux. Par manque d'anticipation ou d'intuition, elles ont soit construit des architectures " maison " à coût de maintenance énorme et sans résistance au futur, soit laissé faire en attendant la norme idéale, soit choisi une norme de certains constructeurs indifférents aux problèmes d'hétérogénéité... Elles sont aujourd'hui "les mains dans la filasse, les antennes et les protocoles" (Zim, 1998).
Un autre blocage vient du manque de réflexion sur le facteur espace, un mauvais point d'équilibre entre ce qui est du domaine de la cohérence et des protocoles (et de l'enticien), des règles communes, et ce qui est du domaine du libre-service, de la productivité personnelle, de l'entique spontanée.

Futur au logis

L'entique de l'entreprise n'a de sens qu'à la lumière des mutations sociologiques profondes au niveau du grand public.
Les nouvelles technologies ont modifié les rapports homme/machine de façon marquante.
Par exemple, la E-Watch, servant à la fois d'ordinateur, de terminal, d'expert portable, de moyen de paiement, d'outil de biotest et de médecine personnelle, téléchargeable depuis peu, a modifié les relations du citoyen et de son environnement. Son parc est de 37,5 millions en France (renouvelé tous les deux ans). Les nouveaux modèles sont étudiés cinq à six ans à l'avance, le poids du design est important, ainsi que les phénomènes de mode. L'acte d'achat est très psychologique.
On est passé vers 1999 d'une recherche de performance à une recherche d'économie d'énergie mentale (en effet, les lois sur la limitation de vitesse des E-Watch, liées à la saturation des débits satellites et LAN ont fait changer les goûts du consommateur).
Le public est encore divisé entre une majorité de consommateurs entiques et une minorité d'anti-entiques (les anti-DéPeCé...) qui entrent dans deux catégories: ceux à qui leur niveau culturel interdit l'accès à l'entique (12,7 %) et les élitistes, qui refusent cette consommation - le nouveau mythe du " tout dans la tête " - (3 %), ce qui ne les empêche pas d'être branchés en cas de besoin à DPC-Service ou autre RVA de luxe...

Le foyer s'est doté de ces deux chaînes :
- la chaîne du plaisir (" convivialité baba ") : presse-bouton, sans effort, tous les sons, toutes les images du monde à travers les réseaux câblés, satellites, vidéorecords, les quatre-vingt-trois chaînes multilangues, le bain quotidien d'émotions et de sensations ;
- La chaîne du savoir (" convivialité cool ") : elle demande un effort minimal d'accès, oblige la pensée à converger, à se doter d'un but : sans cet effort, rien ne se passe, le plaisir est absent... Ce sont les télé-bibliothèques (impression nocturne du livre demandé), les informations, les messageries images, les E-Watch et leur version fixe, les micros.
Avec son temps libéré (23h/semaine de travail), les acteurs plongent dans l'information, qui est devenue, d'après les sondages, le loisir le plus apprécié.
Par ailleurs, un pourcentage important de la population (17,7 %) a choisi le télétravail.
Ce pourcentage n'évolue pas, car le phénomène est régulé (cf. études récentes sur l'instinct grégaire, le besoin d'une reconnaissance par les autres, la recherche d'un archétype personnel à confronter avec celui des autres).

Des systèmes " ex-pères " et de l'image parentale du savoir aux " informes à tics ", malades professionnels...

Un phénomène étrange (Weissenbaum 1989) est celui du DPC compulsif (dit programmeur compulsif. Tant dans les entreprises qu'au foyer, on trouve ce pourcentage constant (4 %) d'individus qui, du matin au soir, communiquent avec les machines.
Les enquêtes ont finalement éclairé à quoi ils jouaient. Contrairement à la vie, où l'on ne peut tout réussir et où la "voix du père " vient dire quelquefois : " Là, tu as perdu... ", l'entique est un jeu auquel on peut jouer sans fin. A peine une solution trouvée, on peut sophistiquer, compliquer le problème, la seule limite étant sa propre intelligence. On joue aux dés avec l'univers, sans jamais échouer.
Tout en présentant des problèmes de socialisation (non-communication, contacts...), le DPC compulsif est un des moteurs du développement de l'entique et les plus grands innovateurs récents appartiennent à cette catégorie... Le dernier congrès de psycho-entique a d'ailleurs consacré sa séance plénière à ce sujet.
Le métier " mode " en 2006 est psycho-enticien. Consacré à l'étude de la relation homme/entique, il est déjà éclaté en plusieurs écoles.
. Les " post-lacaniens " : étude des systèmes ex-pères et de l'image parentale du savoir, les informes à tics et les maladies professionnelles.
. Les " néo-freudiens " : ceux-ci étudient les pulsions relationnelles dans la relation homme/machine. Tout ordinateur étant un outil DPC (données, traitement, communication) :
- l'accès aux données stimule l'obsessionnel (j'ai des données, j'ai du pouvoir, je collectionne...);
- l'accès au traitement stimule l'infantile (tout, tout de suite, le contre-pouvoir ici et maintenant);
- l'accès aux communications stimule le jaculatoire (j'inonde les autres de messages et d'informations, même s'il n'en ont ni besoin ni envie).
Un test récent dans Marie-Claude vous permet de connaître votre coefficient DPC, qui détermine vos réactions instinctives par rapport à l'entique moderne.
. les " zwangiens " : ils s'interrogent sur le sexe de l'ordinateur (cf. les études sur utilisation par hommes et femmes des E-Watch, Bourg, 1996) : l'écran comme " principe féminin ", le microclavier et la reconnaissance vocale comme des organes à stimuler pour obtenir une réponse " positive " de l'écran-femme...
Un autre petit métier est " détourneur " : face à une civilisation où chacun génère (en général sans le savoir) mille opérations par jour (à comparer aux dix d'il y a vingt ans...), le détourneur est chargé de rechercher les failles des systèmes. Salarié d'Etat, ses conclusions servent à adapter les législations dans ce domaine très évolutif.
Quant aux enticiens, on entend de moins en moins parler, ils travaillent avec des techniques révolutionnaires sur des produits que nous ne verrons que dans cinq ans. Leur mode de fonctionnement, leur formation, sont devenus un secret industriel des entreprises qui les emploient.

Réflexions entiques... ou prolapsus définitif ?

A la lumière du Printemps entique, quelques réflexions me viennent :
L'éclatement culturel que nous avons connu dans nos sociétés occidentales (clubismes, babélisation, langues occultes, microsociétés...) est en voie récente de régression par l'adoption progressive du modèle mental espace, définissant mieux la part commune et normative et le degré de liberté individuel.
L'impact de l'entique sur la société, après une période difficile, redevient positif.
L'entreprise, devenue lieu privilégié du tertiaire de communication, semble mieux à même de maîtriser son destin.
Dans les PVE (pays en voie d'entisation), le passage à l'éducation entique sans alphabétisation est un phénomène marquant depuis cinq ans, surtout grâce à E-Watch.
Face à la paupérisation intellectuelle induite par l'explosion anarchique des cinq dernières années, favorisant les chaînes du plaisir, le courant actuel marque un renversement vers la communication et le consensus. Il se peut que les récents événements de l'espace et ses conséquences en soient la cause psychologique. Mais ceci est une autre histoire...
 

Sur ces sujets, consultez les ouvrages de: MM. Lemoigne, Melese, Ouchi, Crosby, Seryiex, Weissenbaum, Moles, Hofstadter.
 

                                                                                                                             © Jean-François David et 01 Informatique 1986

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